Les origines des mascottes de marques

La mascotte, un gri-gri prestigieux pour les marques
Si l'évocation du terme mascotte fait penser à une sorte de gros nounours bienveillant, le terme vient à l'origine du provençal mascoto qui signifie ensorcellement, envoûtement, ou sorcière. Le Larousse parle quand à lui de porte-bonheur ou fétiches, soulignant le caractère protecteur de la mascotte qui viendrait, comme un gri-gri, briser ou protéger d'un sortilège malveillant ! La première utilisation connue du mot "mascotte" remonte à 1880, dans l'opéra-comique intitulé très subtilement "La mascotte" d'Edmond Audran. Le compositeur y met en scène une jeune gardienne de dindons qui porte chance, bonheur et réussite à celui qui la possède (tant qu'elle garde sa virginité, évidemment). La mascotte peut donc être un objet, un animal ou une personne porte-bonheur, qui conjure le mauvais sort par sa simple présence.

Si l'on ajoute à ça le fait que le logo d'une marque, dérivé du seau, est lui aussi à l'origine un symbole magique, une sorte d'incantation protectrice, on comprend mieux pourquoi les marques ont voulu ainsi doublement sceller le mauvais sort. En latin les mots "sceau", "symbole" ou "signature" tiennent en un mot : charactere, un idéogramme impossible à prononcer mais qui est compris et utilisé pour communiquer, et qui contient ou confère un certain pouvoir à celui qui le possède et l'applique (Sébastien Hayez, Étapes magazine #272). À condition d'y être initié.e, la marque dégage ainsi un certain prestige, qu'elle peut accentuer avec une bonne mascotte. On voit sur cette illustration quelques symboles issus de différentes pratiques ou cultures du monde (traits fins), et des logos modernes qui leur font écho (en gras), tous tirés du livre d'Adrian Frutiger "l'homme et ses signes".

Aujourd'hui, plus question de sorcières et de sorts : la mascotte porte non seulement chance (c'est à dire, en langage capitaliste du XXIe siècle, qu'elle permet d'augmenter le chiffre d'affaire), mais permet surtout d'incarner la relation entre un double (représentant symboliquement une collectivité, une marque) et des spectateurs, à travers des intentions et une distance bénéfique à tous.


Le sémiologue Jean-Claude Boulay, dans son article "Marques, communication et mascottes", décrit la mascotte comme "un tampon anthropologique qui joue un rôle de facilitateur entre le destinataire et l'émetteur, dont elle est l'émanation déplacée". Elle désamorce alors la suspicion, grâce à ses traits (plus ou moins) rassurants et à la distance qu'elle instaure. À part les Monty Python, qui se méfierait d'un lapin ?

Les mascottes, en quête d'animation
L'humanité a longtemps essayé d'incarner le vivant dans un corps inerte, et la mascotte est, avec les robots et les avatars, l'une des héritières de cette longue quête. Historiquement, cette quête commence avec les premières représentations humaines et les Vénus du paléolithique, talismans féminins aux proportions exagérées, mascottes des femmes enceintes. Elle se poursuit dans la Mythologie Grecque avec Pygmalion qui sculpte son idéal féminin à qui Aphrodite donne la vie, ou Héphaïstos qui se crée deux servantes en or ; puis dans la tradition juive avec la créature du Golem qui apparaît à la dénomination de textes sacrés, ou l'Homoncule, dans l'alchimie.

La quête de donner du mouvement à l'inerte continue avec les automates d'Alexandrie dans l'antiquité, dans les cultures pratiquant l'art des masques qui font vivre toutes sortes de créatures, se retrouve dans la religion animiste Shinto qui anime divers êtres "vivants" sous des traits humanoïdes comme les marionnettes Bunraku ou les automates karakuri ningyō du Japon, mais aussi dans les statues articulées en Inde et en Égypte, puis plus tard dans le chevalier mécanique de Da Vinci, dans la théorie cartésienne de l'animal-machine au XVIIe siècle, et à travers les nombreux automates et mannequins animés qui fascinent le siècle des Lumières, ancêtres des robots. Plus récemment on retrouve cette quête à l'écran dans le cinéma, qui anime l'inanimé, ou dans la cybernétique et la robotique moderne, qui ont fait naître l'Intelligence Artificielle.

Mais pendant longtemps, de l'Antiquité au XIIIe siècle, on crée des automates non humanoïdes parce que les religions monothéistes interdisent de jouer aux apprentis sorciers et de donner ou de simuler la vie, privilège de Dieu seul. Les musulmans créent alors de magnifiques horloges, et les Chrétiens inventent toutes sortes d'animaux. À cause de cette interdiction d'animer la forme humaine (anima veut dire « souffle vital, âme » en latin), on a peur que la créature se retourne contre son créateur (comme dans le mythe de Frankenstein). La peur que la machine et les robots (ou l'IA) prennent la place des humains est d'ailleurs encore très fortement ancrée en Occident, encore aujourd'hui !

En revanche, du côté du Japon, de croyance Shintoïste, il n'y a pas de tabou concernant le simulacre de la vie. Pour eux la matière est en vie, et toute chose (le bois, le métal, la pierre...) est habitée par les kami... même si elle semble inerte. L'absence de mouvement ne signifie pas l'absence de vie. Animer une marionnette à forme humaine ou faire parler une mascotte en forme de navet n'a donc rien d'étrange, puisque le bois de la marionnette est déjà chargé de vie, tout comme le navet. Voilà pourquoi les mascottes et les robots humanoïdes sont si populaires au pays du levant. Avant de plonger dans l'univers des mascottes de marques, dans un prochain article, observons donc ici les mascottes kawaï d'un peu plus près. 

Les mascottes Japonaises
Dans l'univers merveilleux des mascottes, le Japon se hisse ainsi sans peine à la première place —sans compter qu'on lui doit l'invention des Pokemons, qui font parfois aussi office de mascotte. Dès la fin du XIXe siècle, les marques japonaises utilisent déjà des animaux (chats, ours, cochon...), pour vendre des cigarettes puis du textile et de l'alcool dès 1950. Après ces années, on voit apparaître des images 2D à l'attention d'un jeune public féminin, qui fait rapidement son effet, en proposant des produits dérivés, notamment "Hello Kitty" dès les années 1970.



Dans les années 90, les mascottes-peluches servent à promouvoir le tourisme national, on les appelle "Yuru-Kyara" contraction de yurui masukotto kyarakutâ, pour "personnages mous mignons un peu con-con". Les villes, les restaurants, la police, les musées et même les prisons ou les marques de désinfectant WC adoptent ensuite des mascottes pour représenter leur image.

Kumamon et tous ses amis
Kumamon est par exemple un ours mascotte très populaire de la préfecture de Kumamoto, créé en 2010 après l'ouverture d'une ligne de train à grande vitesse, pour attirer des voyageurs dans la région.

Il a été élu mascotte de l'année, a voyagé partout dans le monde, et a généré 1,2 milliard de dollars en 2 ans pour Kumamoto, avec 29,3 milliards de dollars en 2012 rien qu'en produits dérivés. Si l'on en croit ce qu'il raconte lors d'interviews, Kumanon est "directeur commercial" et "directeur du bonheur" et son rôle est d'apporter un peu de douceur aux populations locales, comme par exemple après un tremblement de terre. Véritable héros national, son rôle est loin d'être pris à la légère.

Parmi les différentes mascottes japonaises que recense le compte Mondo Mascots (une pépite), on retrouve les loufoques Mr Pitch, la mascotte de la ligue de foot en forme de bonhomme pelouse, Hikonyan, la mascotte d'un château (en haut à gauche ci-dessous), Jumball le IIIe, roi des pastèques, mascotte de la ville de Nyuzen, Gajiro Kappa la mascotte du lac qui terrifie les voyageurs à Fukusak (en bas à droite ci-dessous), Koronon qui distribue des masques contre le corona virus (le chat rose), Unberto du musée du caca à Tokyo, ou d'autres qui représentent la légalisation du cannabis, aux villes et échanges internationaux, en passant par des compagnies ferroviaires.

Voilà qui nous donne largement de quoi nous divertir en visitant le pays, et faire de gros câlins à l'occasion.

Remplacer les logos de villes par des mascottes ?
Sur la première image, la moitié des mascottes représentent des villes et des préfectures. En terme de branding, les mascottes ont un rôle crucial au Japon puisqu'elles viennent compléter les logos de villes ou de territoires, qui s'inscrivent dans une longue tradition d'insignes territoriaux. Ces icônes sont le plus souvent rondes, dessinées et construites autour d'éléments symboliques naturels, et surtout héritées des emblèmes des armoiries anciennes ; on est très loin des logos de villes de France ou d'Europe !

Les mascottes des préfectures Japonaises sont en quelque sorte des identités vivantes, qui reprennent les éléments "phares" (littéralement, parfois, comme Choppy) du territoire —des fleurs, des éléments architecturaux, une spécificité locale— tout en leur donnant une personnalité aimable, amusante et courtoise.

Par exemple, le grand bonhomme jaune à casquette et moustache montré plus haut est nommé Lerch San, mascotte de la préfecture Niigata. Il représente... un prof de ski hongrois, Theodore Edler von Lerch, qui n'est autre que le pionnier de l'enseignement du ski au Japon, enrôlé dans l'armée japonaise en 1910 ! La mascotte lui rend hommage tout en valorisant la pratique du ski dans la région, même s'il existe aussi un logo avec l'emblème de la préfecture.